Le Virtuel

Edito du 16 Avril 1998



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Un peu de désespoir, d’écoeurement à la suite d’une émission de France 2 sur le cinéma d’action, les effets spéciaux et ce qu’on continue d’une façon débile à aLes banlieues Edito du 11 Septembre 1998ppeler les images virtuelles…

C’est un secteur que je connais bien, je l’ai vu naître au début des années 80, j’y ai dirigé une société pendant 9 ans, j’ai vu partir les bons aux USA, j’ai vu les bons qui ne partaient pas déposer le bilan, j’ai vu se mettre en place cette mécanique d’investissement à perte parce que le marché est trop petit, des concurrents soutenus à bout de bras par de gros groupes contre toute logique financière, et ceux qui vivotent malgré leur talent ou qui marchent sur la crédulité parce qu’ils ont abdiqué toute dignité et sont prêts à souscrire à n’importe quelle mode médiatique, n’importe quel néologisme obscur qui fait rêver les simples d’esprit et débloquer les budgets par les gens qui vivent sur les simples d‘esprit.

Y veulent du virtuel, on va leur en coller !

Pendant 52 minutes, j’ai eu l’impression d’être le seul être vivant sur la planète, que le monde était fait pour les gens qu’on remonte avec une clef dans le dos, et qui sont capables de ressortir le discours enregistré la veille, c’était une expérience très déprimante. Je me méfierai de la télé, je ne pensais pas que ça puisse faire aussi mal.

Ca salit l’intelligence, ça salit le cinéma et même l’humain. Ca abaisse la pensée sur les moyens et la façon de communiquer à une course à la plus grosse, un turc très primaire, une espèce de bagarre de cour d’école.

Moi, c’est en terme humain que ça me pose problème. Comment peut les intervenants que je connaissaient en partie peuvent-ils dire le contraire de ce qu’ils ont dit un an avant, avec la même ferveur, la même prétention visionnaire ?

Comment ces gens-là font-ils pour vivre ? D’ailleurs, vivent-ils vraiment ?

Est-ce qu’on peut regarder la femme qu’on aime, ses enfants, en ne balançant jamais que le discours normalisé du moment ? Mais qu’est ce que les gens que j’aime penseraient de moi ? Ou alors, il faut penser qu’ils acceptent ce discours complètement opportuniste qui a pour fonction unique de faire bouillir la marmite, mais à quel moment vont-ils me croire ? Jamais ? J’ai besoin qu’on me croit, je n’existe pas sans cela !

Il faut que je vous dise les petites choses qui m’ont choqué comme ça vous jugerez par vous-mêmes et puis, peut-être, vous écouterez différemment la télé.

La première chose, c’est que ça se passait en Californie, la Mecque des effets spéciaux ! Alors qu’en fait, La Mecque des effets spéciaux, c’est ici, en France ou le cinéma a été inventé, que la Californie c’est la Mecque de la FINANCE des effets spéciaux et de la COMMUNICATION sur les effets spéciaux.

Mais, évidemment, c’est plus agréable de se faire payer 15 jours en Califrornie par la chaîne de télé que de les passer dans les boites de banlieue.

De toutes façons, il faut se rendre à l’évidence, depuis 1945, le cinéma est américain, un point c’est tout. J’ai entendu dire que le fait que l’Europe (dont fait parti la France !) ne fabrique plus de cinéma ni d’avions faisait partie des clauses explicites du plan Marshall. Est-ce que quelqu’un peut me renseigner là dessus ?

Ca m’intéresse vraiment de le savoir !

Ca change complètement l’évaluation de ce qu’a coûté à l’Europe cet inévitable sauvetage Américain dont personne ne se plaindra, mais faisons des calculs un peu plus justes, c’est, dit-on, ce qui fait les bons amis.

Et d’autre part, je peux constater que le premier avion européen qui ait vu le jour après la seconde guerre mondiale, c’est effectivement la Caravelle au début des années 60, au moins 15 ans après la fin du conflit.

Une autre chose dont il faut souffrir quand on est de chair et d’os, c’est cette suprématie affirmée mille fois, du film de distraction qui balance des effets spéciaux plein écran et plein la gueule…sur le film dit "intellectuel", à savoir qu’il est forcément chiant de s’identifier à un être pensant, sensible, amoureux, à son regard sur l’autre, à ce qui tourne dans sa tête dans ces moments-là que nous vivons tous, alors que c’est proprement fabuleux de se prendre pour celui qui d’un coup de gâchette vengeur mets le feu à 60 000 litres de fuel, filmé par 17 caméras, mais, c’est des professionnels qui calculent les risques et n’essayez pas de faire ça chez vous.

D’ailleurs, faites attention, si vous vous mettiez à penser, moi je suis un professionnel, je pense avec des normes de sécurité très strictes, beaucoup d’entraînement, il y a un extincteur sur le plateau, tout est calculé.

N’essayez pas d’penser chez vous, comme ça.
On le répétera jamais assez, ça peut être vraiment dangereux.



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Philippe TURCAT

© Mars 1999
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