Les banlieues

Edito du 14 Mars 1998




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Fracture sociale !

Il y a tout un tas de penseurs et de linguistes qui se sont, à l’époque de son apparition, révoltés justement contre cette terminologie : "fracture sociale".

J’ai bien aimé cette polémique, d’abord parce qu’elle nous a permis de lire ce qui passait dans la tête de quelques uns de nos grand cerveaux contemporains, mais aussi parce qu’elle marquait en temps réel l’apparition d’un formule socio-ségrégationiste, puisqu’il est évident que son usage marque précisément la position du locuteur… et pas n’importe où… mais du meilleur côté de ce canyon mental.

Et de l’autre côté, sur l’autre rive : les jeunes et les banlieues !

Or tout ce qui est dit et, sans doute pensé, de ce qui se passe chez les jeunes de banlieue est de l’ordre de la méconnaissance (au mieux) ou de la remise en question violente de la sacro-sainte république.

Remarquez que le très XVIIIème "sauvageon" dont Chevènement nous fait le cadeau mielleux, fait référence au bon sauvage pour ne pas froisser, mais au sauvage quand même, c’est à dire inadapté à la vie sociale, ses codes, ses règles.

C’est encore l’économie d’une observation objective et aucunement une analyse fine des phénomènes à l’oeuvre dans NOTRE société (entière et unie !) et pas de l’autre côté d’une quelconque fracture rassurante, qui permet d’éviter les éclaboussures.

Et pendant que Chevènement nous gratifie d’un mot romantique tiré des oubliettes et sensé prouver que sa position de vengeur démasqué est républicaine, les dits sauvageons remplissent les écrans de nos télés avec de pures créations contemporaines, des images (dans cette civilisation qui les place au dessus de tout) de rap, de voitures qui brûlent, de tags, d’humour, de traques de nuit dans les banlieues…des heures entières de programme.

La position honnête de l’observateur objectif serait de partir de l’évidence que le phénomène observé est là, réel, incontournable, et par ce fait, sans doute qu’il constitue la réponse la plus juste (au sens mathématique du terme), la plus appropriée et peut-être la seule possible, à un ensemble de faits, compte tenu d’un certain nombre de conditions initiales et d’un environnement.

Et c’est de toute évidence ce qui se passe. Les jeunes des banlieues ont la réponse la plus appropriée qui soit à ce qui leur est proposé, ou à ce qu’ils croient leur être proposé.
Pile dans l'axe de cette promesse de "tout le monde peut y arriver !", ce beau rêve bleu-blanc-rouge d’égalité le plus mensonger qui soit : dans nos écrans à 20 heures.

Et comme la curiosité impose de regarder où sont les formes d’adaptation les plus opérantes à notre société. Que voit-on à l'autre bout du paysage ?
Euh..Désolé Docteur, finalement euh...c’est une double fracture !

De l’autre côté aussi, existe une catégorie parfaitement adaptée au monde puisqu’elle est au dessus des lois par sa fortune et la puissance de ses décisions, c’est les grands acteurs de l’économie.

Quand Alcatel annonce le licenciement de 12 000 personnes, pas un journaliste ne vient exprimer la réalité de la décision, à savoir : A l’annonce de ses résultats, pour gagner plus d’argent en bourse que dans son activité propre, les dirigeants d’Alcatel ont décidé d’arrêter de payer 12 000 personnes qui sont donc à présent à la charge des cons qui croient à la république : vous !

Et comme, il vaut mieux gagner de l’argent que d’en perdre, et que de toute façon il n’avait pas le choix, le décideur de cette connerie puérile qui nous éloigne, nous et lui, du modèle de société dans lequel nous voulons vivre, on appelle ça : un grand capitaine d’industrie, un génie de la gestion, il n’y a pas de qualificatif trop élogieux.

Les grands inadaptés du siècle, c’est le ventre mou de la société. C’est ceux dont les emplois partent en fumée pendant que leur voitures brûlent, qui perdent leur portefeuille boursier pendant qu’on leur tire leur larfeuille.

C’est ceux qui votent, qui croient à la démocratie, qui payent des impôts, qui ont des opinions politiques, et des rêves.

Et si on pense que cette position est juste, c’est à dire conforme à la fragilité de toute solution susceptible d’améliorer la vie (Le professeur Jacquard a dit un jour: La loi du plus fort, c’est la loi des animaux. Celle de l’homme, c’est la loi du plus faible.) la seule solution qui leur reste c’est de modifier les structures pour que les gens "adaptés" leur ressemble.

C’est pas le moment de faiblir…




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Philippe TURCAT

© Mars 1999
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