Libéral, mon cul !

Edito du 22 Octobre 1998




Précédent Comment je l'ouvre ? INDEX des éditos Pourquoi je l'ouvre ? Suivant



Libéral ! C’est le mot de la décennie, libéral.

Économie libérale, politique libérale, je hais ce mot, parce que ces implications sont puériles.

Le libéralisme brandit la menace que les autres modes de fonctionnement sont réducteurs de liberté. Le grand mot.

Ne touchez pas à ma liberté. Ma liberté d’être pauvre, ma liberté d’être dans un monde qui fonctionne mal, ma liberté d’aller vers un monde encore plus cruel, ma liberté de voir ma liberté anéantie par la liberté d’un plus fort, ma liberté de me retrouver hors jeu, hors circuit, hors espoir, parce que d’autres auront pris la liberté de modifier la règle du jeu.

Non, vraiment, la liberté, c’est sacré et le libéralisme neuneu s’en est fait le champion.

En plus c’est simple, c’est facile à expliquer. Chacun fait ce qu’il veut ! Et on laisse au hasard et à la nécessité de l’économie la fonction d’organiser nos modes de vie.

Mathématiquement, ca signifie que la loi de l’échange marchand (j’achète 1 et je vends 2, je simplifie à peine...) est capable de structurer des sociétés dans lesquelles Nous, humains complexes (avec nos désirs, nos humeurs et nos contradictions, nos problèmes de voisinage, nos angoisses métaphysiques, nos différences) on va pouvoir fonctionner.

Et là, ça apparaît fortement improbable !

D’autant qu’on part sur une base qui n’est pas très égale. Quand un Américain fait ce qu’il veut avec un PC connecté à Wall Street, il modifie 1000 fois plus le monde qu’un Rwandais qui fait ce qu'il veut, lui aussi, mais avec une pierre et une boulette de manioc. Il y a des hommes dont le poids financier permet d’attaquer une monnaie, de modifier l’équilibre économique d’un pays entier.
Est ce qu’il s’agit vraiment de hasard bienveillant, là dedans.

On dirait vraiment pas. Le libéralisme semble revendiquer au contraire qu’il est intrinsèquement bon, puisque mécanique et dépourvu d’intention.

Si on laisse les choses fonctionner toutes seules, elle vont naturellement vers le mieux (moi je n’en suis pas si sûr) et ce que nous vivons aujourd’hui est le fruit d’un dirigisme politique (gauche droite confondues), et donc le libéralisme n’a rien à se reprocher. Champion de la liberté, et tout beau, tout blanc !

Et la seule chose qui a réuni les hommes depuis toujours, c’est d’avoir une vision anticipée des sociétés dans lesquelles ils veulent vivre, et d’essayer de les mettre en oeuvre dans des projets politiques. La démocratie est une des inventions (et y’a pas trop à se plaindre). Devant l’économique elle devient quasiment un péché originel.

Comme dans ces libéraux, il y en a un bon nombre qui se réclament du Gaullisme sans qu’on sache vraiment si il se rattachent au charisme de l’homme ou à une théorie politique qu’il aurait écrite sans qu’on le sache, j’ai bien envie de leur rappeler un phrase de cet homme dont je me souviens parce que je l’ai entendue à la télé dans mes tendres années.
C’est la suivante :

"La politique de la France ne se fait pas à la corbeille !"

Je m’en souviens parce que j’avais demandé à ma mère ce que signifiait le mot "corbeille", dans cette usage apparemment sans rapport avec la poubelle.

Aujourd’hui je la ré-entends avec sa fermeté décisive et l’emphase que l’orateur génial qu’il était, savait donner au mot France, presque comme si on lui avait fait un affront personnel.

Qu’est ce qu’elle est devenue, chez les Gaullistes, cette affirmation sans controverse possible, ce diktat que le politique prévaut sur l’économique.
"La politique de la France ne se fait pas à la corbeille !"
C’est clair ! Non ? Y a-t-il un Gaulliste qui n'ait pas compris.
Il y a un projet politique, et le devoir de l’économique, c’est d’aller dans son sens.

Alors, soit le Gaullisme, c’est une pensée politique dans lequel on peut faire n’importe quoi parce que le seul, et le dernier à la prolonger, c’est de Gaulle lui même. Après c’est ouvert, faites ce que vous voulez, vous ne risquez pas d'être désavoué.

Soit , après que le politique ait abdiqué devant l’économique, à droite comme à gauche, d’ailleurs, la proposition du libéralisme c’est de tirer à pile ou face pour savoir ce qu’on va faire.

Encore faut-il avoir une pièce…

T’as pas dix balles, s’te plaît ?




Précédent Comment je l'ouvre ? INDEX des éditos Pourquoi je l'ouvre ? Suivant

Philippe TURCAT

© Octobre 1998
3274 signes