Contribution à la Trans>apparence
* L'art fabriqué
à partir d'ordinateurs n'est pas '' virtuel '' en cela qu'il n'existe
pas seulement en puissance ou dans l'oeil du spectateur comme l'image du
miroir. Virtuel n'est pas le bon mot. L'art informatique n'est pas dans
une problématique de reflet. C'est un art novateur, libéré
de la forme et du moment, et en cela il se rapprocherait plus d'un art
quantique, en référence à la discontinuité
apparente de l'espace ou du temps dans les expériences de la mécanique
du même nom. C'est vu sous cette forme, sans forme, qu'il peut créer
un prolongement, un après, un futur re-constructeur à l'art
de la ''société du spectacle''.
* L'art répond en permanence à la société.
L'art abstrait répond à la photographie, le surréalisme
répond aux certitudes absurdes de l'entre deux guerres et quand
la société pense posséder le pouvoir industriel absolu,
c'est dans ses poubelles que l'art va chercher sa matière première,
et le minimalisme fait ressortir la violence agressive des 180 sortes de
yaourt différents censément indispensables à notre
bonheur.
* Le conformisme réaliste est une sale bête, toujours prête
à prendre pour vérité ultime la moyenne bien pensante
de son temps. Il a été raciste, mécaniste, scientiste,
sexiste, productiviste, peu importe en fait tant qu'il laisse croire à
un aboutissement. Celui d'aujourd'hui a suivi la maturation du cadeau japonais
dans lequel c'est le prix du foulard noué autour qui atteste de
la valeur du présent.
* La société du spectacle a perdu le contenu du discours
qui la sous-tend. C'est la mort du scénariste, de l'écrivain,
du penseur, tous devenus inutiles puisqu'avec un assemblage dense d'effets
spéciaux, on capture aussi bien le regard du spectateur. Elle rabote
le sens, égalise les théories et les idées, lisse
les nuances, crée des néologismes pour vendre de la lessive
ou du shampoing, invalide les possibilités de choix et de tri personnel,
infantilise à la façon du hochet, tellement bruyant et coloré
qu'il est bien difficile de regarder ailleurs. Elle est perdue dans cette
confusion entre le superficiel vide et la surface qui cerne le volume,
entre le paraître subjectif et la peau depuis laquelle on pourrait
justement mesurer la profondeur.
* L'art quantique marque un retour à un réel absolu. Il met
en image ce qu'il contient. Il est infra ou endo-réaliste. Il naît
à l'intérieur de l'illusion de réalité et utilise
ses lois. Il croît dans des machines complexes, mais serviles et
absolument logiques. Il croît dans le réel sur les aléatoires
d'algorithmes voulus, stricts, fabriqués par l'homme. Il obéit.
Mais il obéit comme un robot évadé, jusqu'à
l'absurde et même après, fonctionnant sans limite sur sa logique
implantée.
Il est iconoclaste, dénude un réel sous-jacent, arrache le
vêtement normatif de l'illusion optique, pour redécouvrir
la complexité de nos contenus enveloppés, notre ''donné
à voir naturel'', porteur des signaux de l'existence et du désir
face à des absences de choix : ''gauche ou droite'', ''le linge
ou les tâches'', ''les sitcoms ou les feuilletons'', où simplement
aucun choix : ''Grattez là !'', ''droite ou droite'',''On ne peut
rien contre le chômage.''
Il est mathématique, transmissible, inusable. Il est au delà
d'une compréhension intuitive, inaccessible au ''bon sens'', comme
sont le Big Bang, la trajectoire d'un Quark, la nature ''absurde'' de la
lumière, corpusculaire et ondulatoire, entité globale et
faite de petits quanta. C'est l'art d'un savoir étendu qui mesure
le gigantisme de ce qu'il ne sait pas. Il renvoie à un humain vaste,
mystérieux, changeant et contradictoire sans honte.
* Cet Art, plus qu'un autre, entretient des rapports conflictuels avec
l'artiste. Il le prive de son pouvoir, de son droit, de sa distance. Il
le force à construire la base même du hasard ''divin'', l'oblige
à concevoir l'inattendu bienheureux, sans lui permettre de l'arrêter,
de le figer en oeuvre stable. Il le force à conceptualiser au plus
serré, à mettre en oeuvre du concentré de création,
de l'essence d'art, de l'élixir, du plus petit commun créateur.
Il le phagocyte, l'oblige à de méchantes contorsions intellectuelles
pour, finalement, lui échapper, le quitter et prendre sa permanence
et sa grandeur, en se prostituant dans les mains de tout le monde et partout.
Il appartient à celui qui veux le faire vivre.
Il est inattendu, jamais fini, modifié par l'observateur, sa température,
son souffle, son geste, le temps, le lieu, prêt à se servir
de n'importe quelle interface pour mieux abuser de ses sens, lui faire
croire qu'il est là, vivant, émouvant, ému. Et de
cet instant ne restera pas d'objet d'art au risque de revenir à
une forme ancienne de l'art.
* Il est décrit par la complexité de l'outil employé
qui contraint au jamais vu, à l'impossible avec des technologies
classiques.A quoi bon faire avec eux ce que l'on peut faire d'une autre
façon. Ce challenge est permanent. Les machines et les logiciels
sont chers, rapidement obsolètes, difficiles à maîtriser
et donnent des oeuvres qui ne changent pas, qui ne vieillissent pas, qui
ne se modifie selon aucune loi naturelle qui n'aurait pas été
conçue et écrite.
La Trans>apparence peut s'arranger de toutes les lois aussi rigoureuses
et mathématiques soient-elles parce qu'elle porte la possibilité
d'écrire un humain élargi, étendu à ses interactions
avec les autres, enrobé d'une peau sociale mondiale alors que son
ancienne peau de citoyen, d'électeur ou d'homme désirant
était devenu incapable de le contenir.
Philippe TURCAT