Par EmSiKa
Mardi 28 janvier 1997
A Alma Marceau, je l'entretins du balcon. Le balcon comme
sujet ou objet ? Le balcon comme ornement, encorbellement, ou comme saillie,
avancée sur l'alignement de la rue? Le balcon comme promesse d'aubade,
ou tentation du suicide ? Vu d'en-dessous ou d'au-dessus : déplacements
de perspective. Le balcon comme métaphore du passage entre l'intérieur
et l'extérieur, le chaud et le froid ? Le balcon comme instant suspendu
entre terre et ciel ? Les représentations de l'homélie papale,
des harangues populaires dans les dictatures de pacotille ? Le balcon comme
signe intangible de l'arrivée du printemps, comme mitoyenneté
avec les variations thermiques attendues : prendre le frais au balcon.
Qui le pourrait ? Je (tu, vous, etc...) peux (pouvez) occuper toutes les
places à la fois : voir, y être, envisager, déclamer,
haranguer, restituer la saillie dans la platitude, la densité d'un
moment clos par la ferronnerie, l'espace-temps confondu dans la perte du
lien, et même le lien. Ce n'est pas se payer de mots que d'imaginer
qu'un sujet vaut quelque chose, n'importe lequel des sujets. La valeur
a partie liée à l'investissement, et seul le plaisir résultant
en est la correcte mesure, la question résiduelle étant celle
de la transmissibilité du plaisir, laquelle est souvent moins fulgurante
que celle d'un virus. A Alma Marceau, le jour vira à sa fin, et
le balcon devint promesse. C'est ainsi parfois que s'écrivent les
dimanches, lorsqu'il sont aqueux, fluides, limpides, et qu'il convient
de leur assigner un ancrage minéral et métallique (car n'oublions
pas que le balcon est soudé à la pierre de façade,
et qu'il y aurait encore à dire sur les jeux de la surface et de
la profondeur; le postulat de l'existence de la rue, avec son animation,
et de la ville, avec ses services; la possibilité d'échappées
- et d'échappatoires- du regard, le détachement et la menace
de la ruine; et le reste). "Incompréhensible", ronchonneraient les
dépris du symbolique, pour qui pierre veut dire pierre, et balcon,
balcon...A quoi nous rétorquerons ceci : "La tautologie atteste
une profonde méfiance à l'égard du langage : on le
rejette parce qu'il vous manque. Or tout refus du langage est une mort.
La tautologie fonde un monde mort, un monde immobile." (R. Barthes, Mythologies,
1957)
Biblio de saison : L'érotisme, Georges Bataille, 1957 (décidément
une bonne cuvée...dont je participais à ma modeste mesure
en venant au monde)