Cent ans
de sollicitude
Ta bonté te
perdra !
Combien de fois ai-je entendu ces mots ?
Peut-être des milliers de fois, voire des milliards ...
Je suis ainsi, prêt à donner mon argent, mon temps, ma chemise
!
Même si l'on ne m'a rien demandé ...
C'est un besoin inextinguible, incommensurable, inexpugnable ;
Je suis la forteresse du don ...
Je m'appelle André San Frappé, fils d'émigrés
Espagnols
de la deuxième génération.
Boxeur de profession ; j'aimais bien donner des coups, mais en fait,
c'est surtout parce que c'était les seuls moments où on me
les rendaient bien.
En fait, j'adore recevoir : les petites intentions malveillantes,
les cadeaux empoisonnés sont pour moi une délectation, un
summum de bonheur.
Vous allez vous dire que ça confine au masochisme,
peut-être, mais j'aime ces petits riens, ça donne du piment
à ma vie.
Tout petit déjà, j'avais le don du don et comme j'étais
gros pour mon âge
et tout aussi généreux que maintenant ; On m'avait surnommé
le gros Dondon.
Comme disait mon instituteur : j'étais le Dondon de la farce ...
Personnellement, je trouvais ce jeu de mots assez mauvais ... Mais, si
ça pouvait faire plaisir ...
Il y a deux mots que je déteste plus que tout : ce sont les verbes
Prêter et rendre.
Quoi de plus grossier, de plus putassier !!!
il vaut mieux que je m'arrête, je suis en train de m'énerver.
Enfin, ne pourrait-on pas plutôt dire : offrir et reprendre ?
Je vous offre ceci, je le reprendrai demain ...
Un des grands moments de ma vie, ce fut la période de mon service
militaire ;
j'étais aux anges, je donnais deux ans de ma vie à la patrie
!
et la patrie, c'est la nation ; ça fait tout un peuple ...
Faut dire que je leur ai en donner du fil à retordre :
ce coup de fusil malencontreux, donné dans le cul de mon adjudant,
excita sa générosité proverbiale ;
Vous me ferez huit jours !
Je me permis d'émettre cette remarque : qu'au verbe faire, il aurait
pu utiliser donner...
Du coup, il m'en offrit trois semaines et six mois de corvée de
chiottes ;
L'armée est un régal du don sans arrières pensées.
Recevoir des ordres, une nouvelle affectation,
donner du mon commandant, du grade à tous les étages ;
Chacune des minutes que j'ai passées sous les drapeaux
fut une suite ininterrompue de délectations.
Mon retour à la vie civile fut une véritable catastrophe
:
sevré du don de tous ces petits cadeaux bourrus et virils, j'étais
en manque.
Quelques jours plus tard, je sombrais dans une grave dépression,
où mes accès de violence disputaient à des moments
de profonds abattements,
le privilège de ce qui était devenu ma psychose : le don.
A genoux sur le trottoir, j'implorai les passants de me donner quelques
choses.
Sur mon petit panneau de carton,
J'avais écris : "je vous en supplie, donnez moi n'importe quoi
!!!"
Ma désespérance faisait peur, les gens s'écartaient
de moi, m'évitaient ;
je vivais l'horreur du supplice de la tentation, ces millions d'égoïstes
qui passaient devant moi
sans même me donner l'obole d'un regard.
Seul un petit monsieur s'interessait à ma déchéance
;
Chaque jour il m'apportait quelques présents,
me donnait le baume de sa parole, la chaleur de sa présence.
Il était psychiatre et donnait beaucoup d'importance à mon
cas,
il voulait que je vienne m'installer dans son service à l'hôpital
Sainte Anne.
Je ne tardais pas à profiter des avantages de ma situation de malade
:
neuroleptiques, tranquillisants, antidépresseurs
me donnaient l'illusion de participer
à la grande aventure pharmacologique internationale.
Je recevais des soins,
j'avais fait don à la médecine de mon cas.
Quelques mois plus tard, commença la plus belle histoire de ma vie
:
ma rencontre avec Ella ...
Entrée à l'hôpital en placement volontaire,
la force de son abnégation m'a profondément ému.
Nous nous faisons une cour mutuelle de tous les instants.
La force du don de notre amour allant grandissant chaque jour,
nous décidons de quitter Sainte Anne
pour nous trouver une petite chambre
où abriter notre folle passion du don de recevoir le don de recevoir,
donnant- donnant !
Nous donnons de notre personne au pluriel de nos singuliers,
donnant faim de non recevoir à nos plus extrêmes limites.
Amants aimantés par la puissance de nos âme données,
à l'ultime plaisir d'accepter le cadeau de notre unité
. Ella m'offre le plus beau présent que l'on m'eut jamais fait :
le don de sa vie.
Ella veut que je la mange ...
Pendant plusieurs heures, j'hésite ?
Mais la persistance de son désir est si impérieuse,
si profondément généreuse que je me laisse fléchir.
Pendant de longues heures, je m'applique à cuisiner mon amour ;
Lui donnant toutes les apprêts des recettes de grands chefs .
Les formes, les ingrédients, les épices,
les garnitures les plus savantes ne sont pas de trop pour Ella.
Je me donne beaucoup de mal pour que ce soit sublimement bon.
Sa voix dans ma tête me susure qu'elle est très fière
de moi.
J'ai repris la boxe avec tout les dons d'Ella gravés en moi ;
Alors je donne, je reçois à satiété.
Certains jours de découragements où je n'ai pas assez reçu,
pas assez donné ;
je pense à elle, et ça va mieux ...
Maintenant, je suis vieux
et sans vouloir avoir l'air d'un donneur de leçons,
je veux que vous acceptiez les conseils gratuits
d'un homme à qui l'expérience du don de recevoir,
apporta la sagesse.
Cette manne obsessionnelle,
ce don de soi cosmique ont fait de moi le chantre,
le prophète, l'élu par l'exemple de mes actes généreux
du plus beau de tous les présents fait à l'homme par l'universel.
Je vous donne à entendre :
Le DON !..
Je lis dans vos esprits,
la pitié et je vous remercie de ce cadeau final.
Je m'en vais à mon tour,
vous en faire un plus doux :
je me donne à ma mort ...