Une histoire à reculons

Au commencement était la fin,
un bon début qui laissait présager,
une longueconclusion.
Je remontais le temps,
à l'aide d'une mémoire sélective et mal entraînée à ce genre d'exercice.
-"Sans importance !!!" me cria la partie raisonnable du nommé Moi...
-"Multiplie, emprunte, vole au besoin les éléments nécessaires à combler ton oubli."
J'y étais... Spectateur, bienheureux et passif, en voie de dérangement rationnel,
ballotté par des flots d'informations contradictoires.
Un réceptacle, un creuset, une banque interactive où des idées se seraient confrontées
en un ballet incessant de constructions-déconstructions.
La vérité était enfin devenue une abstraction temporelle, une zone non dite,
un ersatz conceptuel vibrant de toute la charge émotionnelle accumulée depuis la nuit des temps.
J'allais pouvoir finir mon travail ...
Cher ami, je vous écris pour ne pas avoir à vous dire
que l'objet de cette lettre n'est pas à prendre par le pied.
Merci et à bientôt... Signé : Jean Redonde ...PS : Je sais tout ...
J'étais interloqué, comment l'individu caché sous ce pseudonyme était-il au courant
de l'aboutissement de mon projet ? Je n'en avais parlé à personne.
Et puis quelle prétention, il osait affirmer qu'il savait tout ! Tout de quoi ?
Dans une sorte de "parade-réflexe",
face à la mégalomanie apparente de ce Monsieur Redonde,
émergeait des profondeurs de mon réservoir à névroses,
une foultitude d'évidences paranoïdes depuis longtemps oubliées ...
Que savait-il, qui est-il ? Un immanent, un "fou-ailleurs" d'inconscience ?
Dans ma volonté de me poser en être inconsistant,
je ne m'étais pas alerté du fait que mes laisser-aller "reproductifs"
pouvaient permettre l'intrusion de facteurs inconnus.
Un coup de fil au bureau de poste, d'où avait été postée la lettre ne m'en apprit pas plus
j'avais eu affaire à un mauvais-plaisant. Un bon-déplaisant ?
J'errais, égaré, hagard, roulant du verbe à l'adjectif.
Jean Redonde tout en me donnant du cher ami,
m'avait fait quitter les hasards volontaires de mes circonvolutions solitaires.
J'étais redescendu dans la réalité par nécessité,
passant du voyons-voir au qu'avait il vu, su, vaincu en moi ?
En proie à d'étranges pressentiments,
je plonge dans un rêve éveillé,
où la fécondité optimiste de mes recherches se perd progressivement dans le regard des autres.
Je flotte en apesanteur dans un boyau transparent au centre d'un cirque naturel
dont les marbres rouges veinés de noir supportent une foule silencieuse et attentive à la faconde de mes paroles.
Progressivement, je perd le sens de mes dires.
Ma voix m'apparait lointaine, désincarnée.
Je m'éloigne de moi-même, et se faisant, me rapproche de cette multitude de gens,
allant jusqu'à les frôler de ma transcendance.
- "Cher ami, tu déconnes à fond !!!
" Une voix troublait la bonne marche de mon rêve.
J'ouvre les yeux, devant moi,
la femme sublimée de mes fantasmes post-adolescents me regarde d'un air matois.
En bredouillant j'interjecte : -"Mais, comment est- ce possible ?
Tu es, enfin vous êtes entrée par où ?"
-"J'étais dans la foule aveugle, ton rêve m'a effleurée,
effarée je suis rentrée chez toi par la porte d'entrée."
Stupéfait, fasciné, légèrement inquiet devant l'improbabilité de la situation
je lui propose un café ... -"Chère amie !"
Elle pose sa main sur ma bouche, pour me faire taire ;
mais les mots sortent quand même,
passent la barrière de ce qui était de chair.
Nous nous touchons, immatériels, nous nous traversons ...
Transmutation de nos natures organiques,
dans la reconnaissance infinie de l'autre,
le double perpétuel enfin retrouvé
à la place concordante où deux corps étheriques
en se fondant l'un dans l'autre dans une même respiration
se confondent, explosent en devenirs multiples,
révélant l'unicité du soi originel enfin retrouvé.
Vous l'avez peut-être compris ?
La lettre émanait d'elle, Jean Redonde était un être tangible,
un des nombreux "corps-domicile" qui avait hébergé sa psyché .
Deux solutions principales d'évolution
s'offraient à notre "nous-moi" maintenant ;
Réintégrer une enveloppe humaine et poursuivre nos travaux,
ou, devenir un concept de transit universel,
un rayonnement de pure lumière ...
Notre auto-consultation dura longtemps .
Nous nous accordions en tous points,
c'est là que résidait le fondement résiduel,
le frein de la non-question.
A trop baigner dans l'inné-fable, "nous-moi" ne réagissait plus,
il s'était endormi dans le réflexif.
Après quelques milliers d'années d'errance somnolente,
nous sentions combien était grande
l'inanité désertique de notre dimension,
le besoin de collusions avec de nouvelles entités s'imposait.
En quittant notre cocon métabolique,
je ne savais pas quel serait notre lot.
Nous dérivions dans d'autres dimensions,
passants égarés d'un âge métaphysique révolu,
nous laissant absorber aux plaisirs de rencontres impavides.
"Elle Redonde"s'était tue,
manifestant sporadiquement son approbation
par d'intenses ruades énergétiques
à l'instants de jouissance profonde
où par cognition nous pénétrions
dans de bien réels inconnus-innommables.
Chacune de ces rencontres dans le "nomades-land"
de l'infra-cellulaire à l'inter-galactique
nous comblaient, nous rassuraient.
Nous avions compris qu'un processus irréversible était à l'oeuvre ;
Par l'induction du substrat de nos hôtes,
nous leurs léguions les traces irréfutables de nos actes tragi-cosmiques,
nous abandonnions la chaîne immanente de nos parcours de l'infime à l'infini .
Notre mémoire pressentait l'expectative d'un but ultime ;
Nettoyé de toutes les finalités potentielles de l'esprit,
nos rêves d'intégrations récurrentes au monde de la matière
devenus réalité transitoire,
nous entraînèrent au néant libérateur...
Au ... Rien ...